Budget 2026 : pourquoi faire le ménage dans les niches fiscales n’est pas si facile
Pour boucler son prochain budget, le gouvernement lorgne une partie des 85 milliards d’euros de niches fiscales. Mais à qui profitent-elles vraiment ? Attention, sujet politiquement explosif.

« Dans chaque niche fiscale, il y a un chien qui aboie », rappelait régulièrement l’ancien député UMP Gilles Carrez, alors rapporteur général du budget, puis président de la commission des Finances de l’Assemblée. Alors, quand le gouvernement, en quête de 40 milliards d’euros d’économies pour boucler son budget 2026, a dans le collimateur certaines de ces niches, les bénéficiaires montrent les crocs.
Mais quelle est la raison d’être de ces dispositifs ? Et les remettre en cause est-il si simple ? Pas si sûr, d’autant qu’en l’absence de majorité stable au Parlement, il sera difficile de dégager un consensus pour faire adopter les éventuelles suppressions. On fait le point sur ce sujet, source d’économies indéniables, mais politiquement très inflammable.
Combien y a-t-il de niches fiscales ?
Dans le jargon du ministère de l’Économie, on ne parle pas de « niches fiscales » mais de dépenses fiscales. Il s’agit de « dispositions fiscales dérogatoires induisant un coût pour le budget de l’État » créées à « des fins d’incitation économique ou d’équité sociale ». En clair : orienter les dépenses des acteurs économiques ou soutenir certains d’entre eux. Selon une annexe au projet de loi de finances 2025, on en dénombre 474 en 2025.
Parmi elles, on trouve des niches fiscales qui concernent les particuliers – comme le crédit d’impôt pour les frais de garde d’enfants de moins de six ans –, les entreprises – avec, par exemple, le crédit d’impôt recherche – ou encore certains secteurs ou territoires spécifiques (la TVA à taux réduit dans la restauration à 10 % ou le dispositif Girardin permettant de défiscaliser les investissements en Outre-mer…).
Combien ça coûte ?
Cette année, l’ensemble des niches fiscales devrait représenter la bagatelle de 85,1 milliards d’euros. Sur la première place du podium, on retrouve le crédit d’impôt recherche (7,75 milliards d’euros). Suivi par l’emploi d’un salarié à domicile (6,86 milliards d’euros). Et, enfin, l’abattement fiscal de 10 % pour les retraités (4,96 milliards d’euros), le fameux amendement Papon de 1977 qui a étendu aux seniors l’abattement pour frais professionnels sur leurs revenus dont bénéficient les actifs. Au total, les quinze premières niches fiscales représentent la moitié de ces 85,1 milliards d’euros.

À l’autre bout du spectre, d’autres niches fiscales ont un coût très modeste, de l’ordre du million d’euros avec des objets particulièrement spécifiques. Comme l’« abattement de 50 % sur le bénéfice imposable des jeunes artistes de la création plastique », le « tarif réduit sur les gaz naturels consommés comme combustibles pour les besoins de la déshydratation de légumes et plantes aromatiques » ou encore la « réduction d’impôt sur le revenu au titre des travaux de conservation ou de restauration d’objets mobiliers classés monuments historiques ».
À qui cela profite ?
En la matière, Bercy avance parfois dans le brouillard. Ainsi, selon le dernier rapport de la Cour des comptes sur le sujet, publié il y a un an, pour 206 niches fiscales, le nombre de bénéficiaires était tout simplement inconnu. Et 58 comptaient moins de 100 bénéficiaires, parmi lesquelles 23 n’en avaient aucun, soit car la création était trop récente ou car le dispositif était en voie d’extinction.
À l’inverse, seules deux niches fiscales bénéficieront cette année à plus de 10 millions de contribuables : l’abattement de 10 % sur les pensions pour 15 millions de retraités et l’exonération des revenus provenant de l’épargne salariale pour 12 millions de ménages.
Lesquelles pourraient-elles être supprimées ?
« Aujourd’hui, 25 % du rendement des impôts est réduit par des niches fiscales, explique au Parisien Amélie de Montchalin. Je veux en réduire l’ampleur et le nombre, en commençant par supprimer au moins 50 d’entre elles. » La ministre chargée des Comptes publics a particulièrement dans le collimateur celles qui bénéficient à moins de 100 contribuables ou entreprises.
Problème, qui dit faible nombre de bénéficiaires dit aussi faibles économies potentielles. Selon les calculs de Moneyvox effectués sur la base des documents budgétaires 2025, supprimer les 69 niches fiscales bénéficiant à moins de 100 personnes permettrait d’économiser… 2 milliards d’euros seulement. En sachant que, parmi elles, la taxe au tonnage pour le fret maritime, censée préserver la compétitivité des armateurs français, coûte près de 1,4 milliard d’euros.
Alors sur quoi pourrait se porter l’effort ? Sur le crédit d’impôt recherche, le crédit d’impôt le plus coûteux ? Le patronat est contre, soulignant que cela nuirait à l’innovation et à la compétitivité de nos entreprises. Mais un rapport de 2022 de la Cour des comptes suggérait de l’orienter davantage vers les TPE et les PME où son efficacité est plus grande que pour les grandes entreprises.
À moins que Bercy ne décide de raboter le crédit d’impôt services à la personne alors que le fisc demande de plus en plus de détails, lors de la déclaration de revenus, sur les dépenses réalisées. « Il a été mis en place pour lutter contre le travail non déclaré et ça marche », défend Pierre André, cofondateur de la plate-forme Wecasa.
« Côté pile, ça coûte de l’argent à l’État mais, côté face, cela crée de l’emploi, fait rentrer des cotisations sociales… », ajoute celui qui précise que le dispositif permet aux clients de davantage consommer d’heures et d’offrir des salaires plus élevés que dans les autres pays européens ne disposant pas d’une telle mesure.
Les retraités imposables dans le viseur ?
Mais alors, dans la chasse aux milliards, le gouvernement pourrait-il s’attaquer à l’abattement de 10 % dont bénéficient les retraités ? « Je pense, à titre personnel, qu’on ne peut pas indéfiniment mettre à contribution les actifs pour financer les nouvelles dépenses sociales liées au vieillissement, évacue Amélie de Montchalin. Ce n’est pas votre âge qui doit définir votre contribution mais aussi les moyens dont vous disposez. »
Est-ce à dire que cet abattement, qui ne bénéficie déjà par définition qu’aux foyers imposables, pourrait être remis en cause à partir d’un certain niveau de revenus ? Réponse dans les prochains mois. Car si, dans toutes les niches fiscales, les chiens aboient, la caravane des économies budgétaires va devoir passer.